Je fais le rêve d’un être changé, dépossédé de son moi, libéré de ses chaines ; délivré de ses doutes et de ses chairs. L’incarnation non pas d’une hirondelle où d’un moineau, mais celle d’un albatros, dépliant ses ailes robustes, naviguant les cieux, virant vers la stratosphère, toujours plus haut, vers des contrées infinies. Explorateur d’un Spatium Incognita qui appelle à la solitude, où la bien-séance s’annihile sans la pesanteur des étiquettes terrestre.
Je serai le voltigeur des confins ténébreux, le somnambule qui erre et appose sa marque à même la poussière d’étoile, un capitaine qui sillonne entre les astres. Et tel un marin en mer je penserai à toi que j’ai laissé sur le rivage, la senteur de ta peau encore en tête, la caresse de tes doigts dans le creux de mes reins, la subtilité de tes traits qui laissera place à une vision onirique de ton être, et qui, avec le tic-tac de l’horloge, disparaitra peu à peu. Le temps aura consumé ton image et de toi je ne garderai tout d’abord qu’un prénom et une vague sensation, puis enfin un souvenir, avant que tu partes en poussière entre mes doigts fins. Et je te rencontrerai encore, sous d’autres formes, et d’autres couleurs, dans d’autres endroits et parmi d’autres couches. Et je t’oublierai, encore, avec la nonchalance de ceux que l’amour ne tue pas. Tu ancreras sur mon visage un sourire apaisé, un flegme empathique habitué aux remous des eaux troubles ; imperturbable et serein.
Planant entre les nébuleuses, l’oiseau libertin débarrassé de la peur de ne pas savoir aimer s’envole loin des terres désolées sur lesquelles l’attend le fardeau qui depuis toujours l’accable. Il erre accompagné, jamais bien longtemps, vole à tire-d’aile dans le néant rougeoyant, offrant son corps et son plumage pour quelques instants éphémère.
C’est un voyage spirituel, donc infini. C’est l’exode que je me suis choisie. Un nomade en pèlerinage, cherchant son Moi plutôt que son Dieu, apportant les questions plutôt que les réponses.
C’est alors qu’au cours de cette traversée en lisière de mon esprit je chavirai. Emportée dans un flot tourbillonnant de couleurs, de sons, de formes changeantes, de silhouettes familières, et de sensations effrayantes, je ressentis un vertige violent qui saisit mon âme et fit frémir mon ombre. Un tout autre endroit s’offrait à moi, point d’esprit, point de raison, ici le feu dévorant de la passion brûlait avec langueur, et ses flammes s’agitaient en une danse lascive et polissonne. Voguant au milieu du vide sidéral de cette pompe rubiconde, j’y trouvai une lueur, et je lui fit le don de ton prénom.
C’est ainsi que tu devins. Ta genèse se fit au cœur même de mon être, et je compris alors, à cet instant précis, que chaque rencontre est une naissance. Douloureuse et amère.